Wednesday, February 2, 2011

Nathalie, Alice

Je n'avais plus vu Nathalie depuis une éternité. Son image autrefois ancrée en moi s'était évanouie au cours des années, et le duplex qu'elle occupait dans mon esprit en travaux s'était peu à peu mué en chambre de bonne, accessible uniquement par l'escalier de service, prête à déménager. Et pourtant c'est bien elle, juste là, quelques mètres devant. Ses yeux et le regard qui les accompagne sont restés les mêmes, comme la persistance rétinienne d'une image pourtant presque effacée.

Mais quelque chose a changé.

La Nathalie que je connaissais avait un passé pavé d'histoires, serpenté de chemins tortueux, et lire ses pensées revenait à essayer de s'orienter à Châtelet sans y avoir jamais mis les pieds.
Alice (elle dit s'appeler Alice) n'a pas cette noirceur, ce poids sur les épaules. Elle est légère. Elle n'a d'ailleurs rien à faire dans un cours de classique niveau débutant. Dans ses mouvements je lis son histoire, l'histoire d'une danseuse qui avait perdu de vue sa passion dans une vie qui ne lui appartenait plus, et qui avait décidé de reprendre les rênes. Décidé de quitter la quatre-voies pour repartir sur la route de campagne de son enfance. L'hésitation est présente, cette fragilité du choix qu'on a fait sans trop y réfléchir, un matin en se préparant un café. Mais le
corps n'oublie pas les années passées à la barre, il se souvient du temps consacré aux pliés, aux fondus et aux pirouettes en dehors. Il tremble comme un chat qu'on aurait réveille en pleine nuit avec une bassine d'eau froide. Mais il est debout, tendu et gracieux, prêt pour le cambré et à l'affut du relevé. Alice est juste derrière ce voile de souplesse retrouvée, cette couche de poussière qui s'était lentement déposée sur sa liberté. Et elle sourit, d'un sourire simple, qui sait de nouveau où il va, et pourquoi sa propriétaire se tient là, au premier rang d'un cours de classique pour débutants. Elle salue, et part rapidement chercher ses affaires, apparemment pressée d'attraper un train.

"Excuse moi, tu t'appelles bien Alice?"
"Oui".
"Tu ressembles beaucoup à une fille que je connaissais. Bref, bonne soirée!"

Ce "Oui" a balayé mes derniers doutes en un rond de jambe, et doucement, la chambre de bonne a trouvé une nouvelle locataire, montée sans bruit par l'escalier de service.

No comments:

Post a Comment